dimanche 19 octobre 2008

Vers Diégo (suite et fin)

Notre 4x4 entre tard dans la nuit dans un camp à bungalows près du parc d'Ankàrana, notre étape suivante. Le chauffeur fait rugir le moteur et klaxonne pour attirer le gardien, sans autre effet que réveiller tous les touristes. Nous faisons le tour du terrain. Les phares surpuissants du véhicule éclairent les vitres de la réception-boutique, révèlent un lit avec une silhouette endormie. En frappant à la fenêtre avec suffisamment d'insistance, la silhouette s'éveille et vient nous ouvrir.

Le gardien, Goulam, est aussi le propriétaire du camping et guide du parc. Nous payons le 4x4, qui continue sa route vers Diégo. Goulam nous improvise un dîner à base de pain et de sardines en boîte. Il nous propose un parcours pour le lendemain, à effectuer en compagnie d'un touriste anglais. C'est une aubaine car le programme, assez sportif, inclut la plupart des attractions que le Routard recommande.

Au petit déjeuner, nous rencontrons notre compagnon de route, Thomas. Quoique Anglais, il vit en France et travaille dans les pays les plus divers : il conseille des prospecteurs de pétrole pour minimiser leur impact environnemental. Difficile, pour un écologiste manichéen, de déterminer s'il est du côté obscur. Il travaille pour des pétroliers, mais il cherche à minimiser leurs dommages écologiques... De toute façon, c'est un compagnon de route agréable, loquace et prodigue en anecdotes piquantes sur les territoires perdus, voire hostiles, où il a exercé ses compétences. Notre compagnie le rafraichit des mineurs quelque peu lourdauds qu'il a fréquenté les semaines précédentes.

Goulam nous emmène dans sa 4L vers l'entrée du parc. Au début nous suivons un chemin dans une forêt assez sèche, qui pousse sur une fertile coulée de lave issue du volcan de la montagne d'Ambre, à quelques dizaines de kilomètres de là. Goulam est dans son élément, il repère les minuscules lémuriens qui somnolent dans les fourches d'arbres et réussit à convaincre Célia de saisir un mille-pattes dans la main...



Nous arrivons à une dalle calcaire feuilletée et craquelée, où s'ouvre un énorme trou. Un réseau de grottes sillonne la partie calcaire du parc, et Goulam explique comment il a accompagné des spéléologues dans des kilomètres de galeries. On distingue des coquilles fossilisées dans la roche.



Un peu plus loin, sur une plateforme, nous découvrons l'attraction majeure du parc : les tsingy. Ce sont des formations calcaires érodées de ravines verticales, comparables aux lapiaz dans le Vercors. L'échelle des sculptures est cependant beaucoup plus grande, elles s'étendent sur plusieurs kilomètres carrés et se creusent d'au moins 5 mètres. Les arêtes sont effilées et tranchantes, il ne s'agit pas de tomber dans les fissures.



Des plantes étranges, nécessitant peu d'eau, poussent dans ce milieu a priori hostile. Certaines expédient leurs racines vers la terre ferme qu'on devine au fond des ravines. Certaines ont une boursoufflure rappelant un baobab à leur base, qui stocke l'humidité. D'autres sont des plantes grasses ressemblant à des cactus.



Un joli chemin touristique est tracé parmi les rochers, passant tantôt dans les gorges, tantôt par-dessus. Nous suivons Goulam qui nous gratifie d'anecdotes sur cet ornithologue inattentif blessé en tombant dans une fissure, et sur Nicolas Hulot, qu'il a guidé lors du tournage d'un documentaire dans la région. Thomas, qui a été instructeur d'escalade en Angleterre, et moi nous essayons a quelques pas de bloc prudents sur les roches acérées. Nous croisons un groupe de touristes italiens aux vêtements recherchés, qui babillent joyeusement, mais qui peinent à évoluer dans ce terrain accidenté.



Nous arrivons à une grande caverne encaissée, dans laquelle nous descendons. Les lampes frontales deviennent nécessaires. Elles éclairent mille taches orange luisant sur la paroi opposée. Une odeur de fiente pénétrante nous monte aux narines : une énorme colonie de chauve-souris est suspendue au plafond. Ce sont des roussettes, relativement grandes par rapport à leurs congénères européennes. Elles couinent comme des rats. De temps en temps, elles volent en agitant leurs ailes grêles avec une sûreté surprenante dans l'obscurité. Thomas est fasciné.



Goulam nous fait aussi visiter une partie plus profonde de la grotte, avec des concrétions calcaires.




Nous retournons au camp à temps pour faire une lessive. Au dîner Thomas nous raconte ses aventures au Gabon (où on mange des chimpanzées), au Yémen (où son nom a été inscrit sur une liste de cibles d'Al Qaeda), au Cambodge (où il a fait le flash-packer), au Népal (où sa femme recueillait des prostituées indiennes), à Dubaï (ville de mégalomanes), etc.

Le matin suivant, Goulam doit réceptionner un groupe de touristes à Diégo-Suarez, où il nous dépose, Célia et moi. Comme c'est la dernière étape du voyage, nous nous offrons un excellent hôtel avec vue sur la baie. Nous entreprenons de faire un tour dans la ville et le long de la côte. Au retour, nous tombons sur le fameux marché de la ville, plein d'activité en fin d'après-midi. Nous découvrons des tiges de riz salé mélangé à de la noix de coco râpée. Le soir nous mangeons dans un restaurant hors de prix.



Le lendemain, nous faisons un tour en vélo le long de la côte, en direction du village de Ramena. Le rythme est indolent. Nous admirons le Pain de Sucre, île que la superstition locale interdit de visiter. Dans le village, nous mangeons un crabe en observant les boutres qui passent avec nonchalance.



Retour à la tombée du jour.



Le matin suivant, nous prenons un avion qui nous ramène à Antananarivo. Nous logeons à nouveau chez Marise. Nous passons le samedi à des visites et divers arrangements pour le travail de Célia. Dimanche, nous visitons une ferme à crocodiles, où des centaines de ces reptiles s'entassent en attendant d'être transformés en sac à mains. Un carpaccio de leur viande est apprécié diversement : je le trouve insipide, Célia trop fort. Il y a aussi de sympathiques autruches qui s'évertuent à ouvrir leur enclot en en mordant le grillage. Des lémuriens apprivoisés font des pirouettes sur l'arche à l'entrée de la ferme.



Lundi, Célia et moi nous séparons. Elle part vers son travail. Je prends un taxi pour l'aéroport. La campagne autour d'Antananarivo est couverte de brume.

lundi 13 octobre 2008

Vers Diego (2)

La nuit tombée, notre bus part vers le nord. Le début de la route, goudronnée, est franchi sans encombre. Puis quatre heurs d'arrêt pour manger et effectuer d'obscures réparations sur un essieu. Nous en profitons pour dormir. Des mains baladeuses en profitent pour voler ma polaire...

Nous nous engageons sur une piste traversant la savane, sableuse, défoncée, qu'il faut quitter par endroits pour contourner un obstacle. Les secousses m'empêchent de dormir. Je vois défiler le paysage baigné par la pleine lune, vallonné, blafard, sur lequel des gens marchent, imperturbables, vers quelque destination lointaine.

Au matin nous faisons une pose dans le village qui marque le retour du goudron sur la route. Sur le petit marché nous trouvons du "vrai pain" (par opposition aux baguettes ultra-légères standardisées) et une brosse à dents si énorme qu'elle semble conçue pour un cheval.

Nous parcourons le segment de route jusqu'à Ambilobe à faible allure : le chauffeur s'arrête souvent pour embarquer et déposer des passagers.

Ambilobe marque l'embranchement de la route Nord-Sud avec la piste vers Vohémar, sur la côte Est. Selon mon plan, nous devions prendre cette piste et nous arrêter à Daraina, d'où nous aurions visité un parc naturel. Cependant, après discussion avec Célia et les boniments du guichetier de la compagnie de bus, nous décidons de repartir le soir vers Sambahava.

En attendant le départ, nous montons sur une colline voisine, d'où nous avons une vue panoramique sur la plaine environnante. Nous redescendons en courant après que le guichetier nous ait téléphonés pour nous avertir du départ imminent du taxi-brousse.



Nous sommes une quinzaine à l'arrière du Peugeot 504 bâché. Certains sont assis sur les banquettes rembourrées qui longent les bords, les autres sur le plancher. Je suis adossé a la cabine de la camionnette, les genoux relevés, avec Celia a demi couchée entre mes jambes. Nous sommes tous si serrés que le moindre mouvement gène notre voisin. Voisin de Célia, un gros homme trône sur la roue de secours, probablement la meilleure place. Il se justifie en expliquant qu'il accompagne son petit-fils (coince devant lui).

La route est pire que jamais. Le chauffeur, virtuose, accélère et ralentit sans arrêt pour profiter des morceaux de chaussée praticable, éviter les pires trous, et aborder les trous moyens a une vitesse qui épargne la suspension du 504. Nous sommes secoués, projetés les uns contre les autres, les coudes s'enfoncent dans les côtes, les jambes sont compressées... Une barre en bois s'imprime dans mon dos et mon torse privé de la protection de la polaire volée est fouetté par le vent frais. Une passagère compatissante me prête un paréo. Après quelque temps, je renonce a m'agripper, me résignant a n'être plus qu'un morceau de viande a transporter. De temps en temps je change ma position de quelques millimètres pour éviter d'être complètement ankylosé. Le support inégal de mon dos est une torture.

Les heures sont longues. Heureusement nous nous arrêtons quelquefois pour les pauses techniques et quand une pente trop raide ne peut être franchie qu'a vide par notre véhicule. Un des arrêts est a Daraina, nous hésitons quelques instants a reprendre le plan initial, descendre ici. Mais le village plonge dans le noir avec juste quelques boui-bouis moroses n'est guère engageant... Bien entendu, je ne ferme pas un œil de la nuit.

Nous arrivons au bout de la piste au petit matin. Célia et moi sommes hébétés. Les autres passagers semblent presque reposés. Le gros homme qui a disputé sa place à Célia s'avère être officier de police, ce qui explique la déférence des autres passagers. Son petit-fils ressemble vaguement a un chien.

La suite de la route est tapissée d'excellent goudron. Nous parvenons a Sambava en trois heures presque confortables.

Salbava s'étend sur quelques kilomètres le long de la route. Des taxis font sans arrêt le trajet dans les deux sens, embarquant et débarquant des passagers au besoin. Nous prévoyons de dormir à Andapa. Le Guide du Routard décrit une belle balade de 20 km dans un environnement enchanteur vers la ville : exactement ce qui faut pour l'après-midi. Nous prenons donc la route, enchantés de nous dégourdir les jambes après 36 h de taxi-brousse. La direction est claire. Nous croisons une fête du village où un groupe de dames éméchées nous saluent en éclatant de rire, je bois une bouteille de lait frais (rarissime !), et nous croisons un enseignant pédant qui prétend ne converser qu'en anglais.

Pourtant, il y a quelque chose de bizarre : les bornes annoncent 80 km jusqu'à Andapa, bien trop long pour une journée. Un passant nous le confirme. Nous avions mal lu l'article du Routard ! La mort dans l'âme, nous reprenons le bus. Encore quelques heures de route et nous voici a notre hôtel, très bien entretenu. L'occasion de faire une grosse lessive.

Le matin, nous allons voir monsieur Bruno, affable Chinois francophone, qui organise des excursions dans le parc voisin de Marojejy. Nous convenons de partir le lendemain pour une balade de trois jours qui nous mènera au sommet du parc. Nous rencontrons aussi Éric, qui vit a Andapa depuis 15 ans, après avoir parcouru Madagascar dans tous les sens. Pour la journée il nous conseille quelques endroits a visiter aux alentours.

Andapa est dans une cuvette au fond plat, qui ressemble un peu a un cratère de volcan. Le fond de la cuvette est tapisse de rizières. L'eau est collectée par une rivière qui s'échappe par un vallon vers l'Est. Nous marchons vers la rivière, sur des chemins et des petites digues qui délimitent les parcelles de riz. Dans un des villages a lieu un enterrement. La famille du mort nourrit tout le village, et la maison endeuillée est couverte de fleurs.



Un groupe de gamins s'est mis à nous suivre. Ils se moquent bruyamment de nous, un crache tous les deux pas, un autre chie carrément devant nous. C'est assez pénible, mais nous ne savons pas quoi faire : les engueuler ? les gifler ? En tant que touristes nous ne pouvons pas nous permettre ce qu'un Malgache ferait sans doute. Je tâche de marcher plus vite, et Célia simule des rugissements de tigresse... En conjuguant nos efforts nous parvenons à les semer sur un flanc de montagne défriché.



Nous descendons en suivant un petit chemin le long de la rivière. Arrivés à une falaise, nous nous baignons et nous engageons le chemin du retour. Dans l'idée de faire une boucle, nous gravissons un chemin qui attaque la colline voisine de front. Il mène à des parcelles où poussent des bananiers et du maïs. Des moignons d'arbres noircis témoignent du défrichement récent et anarchique. Les moustiques dévorent les membres de Célia, qu'elle a imprudemment laissés exposés. La pente s'accentue, et nous parvenons au sommet de la colline en grappillant dans la terre meuble.



En suivant la crête, nous avons une vue panoramique de la plaine d'Andapa. Les reliefs environnants sont couverts de plantations de café et d'ananas.



Après avoir traversé quelques buissons épineux et rencontré une énorme couleuvre, nous décidons de retourner au village.



Le lendemain, nous un taxi-brousse nous dépose à l'entrée du parc de Marojejy. Notre expédition est constituée, en plus de nous deux et du guide, d'un cuisinier et d'un porteur. Seul un chemin est accessible aux touristes, jalonné de trois camps à bungalows où on peut bivouaquer. Il mène au sommet, à 2100 m d'altitude et nous allons le parcourir en aller-retour. L'objectif du premier jour est de monter au troisième camp.

Le porteur emmène notre nourriture pour trois jours, soit 10 kg environ, dans deux paniers suspendus à un tronc de bambou qu'il porte sur ses épaules. Il marche pieds nus et fait l'aller-retour vers le troisième camp dans la journée. Nous le suivons à allure plus modérée.



Après quelques kilomètres par villages et rizières, le chemin s'enfonce dans la forêt. On peut distinguer plusieurs strates. Nous passons d'abord par une forêt relativement basse, ponctuée de touffes de bambou d'un vert qui paraît fluorescent. Le sentier est très bien entretenu et pavé de galets. Les arbres enchevêtrés de lianes sont impénétrables : impossible de perdre le chemin...



Au premier camp, nous visitons une cascade où nous pouvons nous baigner. L'eau est assez propre pour être potable, malgré une légère teinte tourbeuse. Ça n'empêche pas les groupes de touristes que nous rencontrons de faire monter de l'eau minérale par une pléthore de porteurs.

Nous passons dans la seconde strate : la forêt de grands arbres, avec canopée à 25 m. La forêt est dominée par d'énormes arbres aux troncs massifs. Certains ont des racines hautes et étroites, qui ressemblent à des draperies entre lesquelles on peut se réfugier. Il y a d'interminables ficus, qui étouffent les troncs d'autres arbres dans un enchevêtrement de filets boisés pour monter plus haut. Ils font régner une pénombre constante dans le sous-bois. A notre niveau poussent des arbustes aux grandes feuilles vert sombre.



Ce sont ces arbres immenses qui me fascinent, c'est pour les voir que nous avons fait ce détour qui nous a coûté des dizaines d'heures de taxi-brousse. Il n'y a que dans les forêts tropicales humides et anciennes qu'on les trouve.



En poursuivant notre ascension, la végétation prend des proportions plus modestes. Le sentier, moins parcouru, devient plus ardu. Nous marchons dans la boue ou sur des racines, nous aidant de celles-ci pour nous hisser à travers les pas difficiles. La brume bouche les perspectives lointaines et une pluie fine et persistante nous refroidit.



A l'arrivée au camp, nous apprécions de mettre des vêtements secs et de nous regrouper autour d'un braséro préparé par le cuisinier...

Le lendemain, nous partons au petit matin pour le sommet. Le chemin se dégrade. Nous pataugeons dans la boue et les racines. Les ascensions alpines nous nous ont pas habitué à des sentiers aussi accidentés... Peu à peu, cependant, la végétation devient plus rase, jusqu'à ce que nous puissions regarder par-dessus. Les paysages de moyenne montagne sont semblables finalement : il ne reste plus que de l'herbe et des mousses.



Pour les dernières centaines de mètres nous marchons sur le granite de la montagne. Le sommet est marqué par un tas de cailloux et vieille structure métallique à l'utilité obscure. C'est le quatrième point le plus haut du pays, la vue est superbe malgré quelques bancs de nuages dans la plaine. En légère hypoglycémie, nous buvons du jus de fruits et faisons une petite sieste.



Quoique moins fatigante, la descente est plus difficile que la montée : la structure des racines est moins visible. Au croisement avec un sentier secondaire qu'on devine à peine, notre guide nous quitte pour traquer le propithèque soyeux, ou lémurien blanc, l'animal le plus remarquable du parc. Célia et moi redescendons tranquillement vers le deuxième camp, notre étape suivante.



A la tombée de la nuit, le guide revient bredouille au camp, mais ne renonce pas : il repartira le lendemain à 4 h pour chercher le fameux primate. Il sait le repérer en observant les branches cassées ou en sentant leur urine sur les arbustes ! Des chercheurs viennent dans le parc pendant des mois pour étudier le comportement de l'animal.



Au petit matin, il a trouvé ! Nous le suivons sur des pentes instables, sous une fine pluie. Et effectivement, sur une branche, on distingue des silhouettes claires, recroquevillées pour échapper aux intempéries.



Le reste de la descente est sans histoire. Nous prenons un taxi-brousse pour redescendre à Sambava, où Célia doit lire ses mails professionnels.

Dans la ville, internet est coupé pour cause de travaux sur la liaison satellite. La parabole est installé sur le toit d'un grand bâtiment : l'hôtel Victoria. Célia parvient, grâce à son charme de vazaha-ette éplorée, à attendrir le réceptionniste qui lui donne accès à une machine directement branchée sur le routeur, bloquant les manipulations des techniciens... Elle travaille d'arrache-pied pendant toute la soirée.



Le réceptionniste, décidément plein de ressources, nous propose de retourner à Ambilobe en 4x4, ce qui rendrait le trajet sur la piste défoncée moins pénible. Traumatisés par notre expérience précédente, nous acceptons, malgré le prix exorbitant (5 fois plus cher que le taxi-brousse).

Le véhicule nous prend le lendemain. Nous occupons le banc arrière de la cabine de pilotage, sur lequel nous pouvons nous vautrer tout à notre aise. A droite du chauffeur une grosse dame bien habillée parle, sans arrêt pendant tout le trajet (12 heures). L'arrière du pick-up est bâché comme notre 504 à l'aller et une douzaine de passagers en troisième classe s'y entassent. Une petite fille nous regarde par la vitre arrière de la cabine.

Le moyen de transport luxueux nous permet de dormir et même d'apprécier le paysage lors du passage sur la piste infernale : c'est une savane sèche échelonnée en terrasses où paissent des zébus. Nous traversons Daraina de jour, égayé par un marché multicolore et un festival de musique.

jeudi 25 septembre 2008

Vers Diego

Pour les deux dernières semaines de mon séjour, nous avons entrepris un périple en direction de Diego-Suarez, à la pointe Nord du pays.

La première étape est de rejoindre Antananarivo (abrégé en "Tana"), car, comme chez l'ancien colonisateur, les routes convergent en étoile vers la capitale. Nous prenons donc le bus de nuit (dit "Boeing", sans doute en hommage à sa grande taille).

La nonchalance avec laquelle nous avons considéré l'horaire de départ nous contraint à prendre un taxi pour rattraper le bus à la sortie de Tamatave. Après une cinquantaine de kilomètres, une épaisse fumée surgissant du moteur affole Célia qui le voit déjà exploser, brûlant vifs les passagers. En fait, c'est une panne qui nécessite une heure de réparation, ce qui nous permet de dîner. Pour le reste, le voyage se déroule sans encombres. Nous arrivons à Tana au petit matin. Nous laissons les bagages chez une amie, Marise, et passons la journée à flâner dans la ville.




Tana est construite sur des collines. Les rues carrossables sinuent dans les vallons, coupent les reliefs dans des tunnels ou serpentent pour gravir les pentes (certains taxis renoncent d'ailleurs à monter ces côtes). D'innombrables escaliers affrontent les pentes de front. Le plan de la ville est donc très irrégulier, y déambuler est à la fois un casse-tête et une surprise à chaque coin de rue.

Le soir, nous reprenons un taxi-brousse qui fait le trajet vers Mahajanga, sur la côte Ouest, en une nuit. L'objectif est de faire le plus possible de route pendant la nuit pour ne pas gaspiller de précieuses heures de lumière. Nous descendons à 100 km avant la ville, pour visiter le parc d'Ankarafantsika. Il est 4 h du matin. Après avoir rassuré le gardien, nous terminons la nuit en dormant sur des bancs à l'entrée du parc.

Les visites dans les parcs sont toujours guidées. Notre guide d'aujourd'hui est un noble au nom interminable (même pour des standards malgaches). Il propose d'emblée de prendre l'appareil photo de Célia pour immortaliser des animaux. Il se révèle un honorable photographe, sachant admirablement combiner l'appareil avec ses jumelles pour simuler un téléobjectif. Il repère en particulier les oiseaux, qu'il a l'habitude de traquer pour les clients anglais, ornithologues passionnés.




En plus des presque classiques lémuriens et baobabs, nous passons dans un étrange cañon de pierre sableuse. Nous terminons la visite par un lac truffé de crocodiles, contre lesquels des paneaux avertissent les candidats baigneurs. Le guide se laisse aller à d'audacieuses affirmations : il en aurait vu un de 12 m ! et ils ne mangent que 10 kg de viande par an ! De loin, leurs yeux et leur truffe ressemblent à des morceaux de bois dérivant dans la vase...





En fin d'après-midi il est temps de reprendre la route vers Mahajanga. Craignant (inutilement) la rareté des taxi-brousse, nous nous résignons à faire du stop. Bientôt un énorme semi-remorque chargé de 32 tonnes de ciment nous embarque. Bien entendu, ce n'est pas très rapide, mais la vue depuis la cabine surélevée sur la steppe caressée par le soleil couchant est merveilleuse. Le conducteur et son mécanicien écoutent Francis Cabrel et s'arrêtent pour acheter des mangues. Ce sont des "mangues de Diego", rouge-orangés et plus petites que les mangues habituelles. On peut arracher leur peau avec les dents, quoique notre maladresse nous interdise de le faire proprement...




Le chauffeur du camion nous laisse à un petit hôtel à Mahajanga. C'est la troisième ville et le second port du pays. Les rues sont d'une largeur surprenante, et paraissent vides le plus clair de la journée, avec leur circulation de ville de province. Le soleil impitoyable chasse les habitants des rues en milieu de journée : nous nous approchons de l'équateur.




Nous nous informons sur les bateaux qui iraient à Nosy Be ou Diego que nous pourrions prendre. Malheureusement, le Jean-Pierre Caloch, navire pour touristes, ne fera le trajet qu'en fin de semaine. Nous nous résignons donc à repartir le soir en taxi-brousse. Nous déjeûnons dans un excellent restaurant tenu par un "vieux vazaha" réunionnais, "le Vahine".

jeudi 18 septembre 2008

Le bazar Kely

Pendant mon séjour à Toamasina, Célia travaille, donc je me trouve avec le plus clair des journées libres. Notre excellente femme de ménage, Lala, pourrait s'occuper de la plupart des tâches ménagères. Elle pourrait préparer à manger, ou nous pourrions faire nos courses une fois par semaine dans un supermarché occidental. Ca ne se passe pas ainsi parce que je joue à l'homme au foyer.

Pour le touriste, que je suis, les tâches quotidiennes, se nourrir, faire les courses, chasser les cafards, discuter avec le gardien de la maison, ont une dimension de ludique. Il parcourt la gamme des plats exotiques du cru, s'amuse du nombre les blattes et de termites, négocie des prix insignifiants, etc : il joue à s'intégrer dans un environnement qui n'est pas tout à fait sa réalité, puisqu'il en partira dans quelques semaines.

Je joue donc le rôle d'un homme au foyer. L'aspect le plus excitant de ce jeu est d'aller faire les courses à Toamasina.

Quand on vient d'Europe, la ville peut paraître pauvre et ses magasins uniformes. Quand on vient d'agglomérations malgaches plus petites (ce que les citadins appellent " la brousse ", habitée de " broussards "), le point de vue change : Toamasina devient un centre cosmopolite opulent où on trouve tout, en plusieurs versions, et en abondance.

Presque tous les jours, je prends donc mon vélo chinois avec une liste de courses.

Au début, je fréquentais surtout les trois supermarchés, qui proposent des produits qui comblaient mon goût pour l'exotisme. Le jeu consiste, bien entendu, à préférer aux produits français les équivalents locaux ou à défaut africains ou du sous-continent indien. Madagascar a une industrie agro-alimentaire qui couvre une large gamme de produits : Tiko (la fameuse entreprise du président) pour les produits laitiers, Taf pour les épices, Codal pour les miels et confitures, Robert pour les chocolats,...

Pour les fruits et légumes, il y a des boutiques partout dans les rues au alentours de la maison. Quand je suis arrivé, c'était l'hiver : le froid relatif réduisait le choix à quelques légumes et à des bananes. Maintenant les mangues, mandarines, ananas, sont plus courants. Le jeu consiste aussi à s'arrêter dans les gargotes, les fast-food locaux, pour goûter les plats proposés. La plupart des préparations sont frites. Les plus réussies sont à mon avis les samosas, les mini-poivrons, et des petites boulettes de graines germées.

Peu à peu, je me suis enhardi, quittant le supermarché et m'aventurant dans les marchés. D'abord, il y a le bazar Bé, au centre de la ville. C'est une halle comme on peut en trouver en France, un peu délabrée, avec des toiles d'araignées fantastiques au plafond. Les stands sont bien agencés et une bonne partie est consacrée à des produits touristiques (épices, artisanat soigné). Les produits sont luxueux et les prix pour les vazahas sont exagérés.



Puis j'ai découvert le bazar Kely. C'est un marché excentré, de deux hectares environ, donc bien plus étendu que le marché de centre ville (paradoxalment car bé = grand, kely = petit).

Il est construit sur des dalles de béton. Au milieu court une tranchée d'égouts (presque) à l'air libre et il y a quelques bâtiments en dur : des toilettes publiques et une halle à viandes. Autour, des ruelles en plan cartésien délimitent des stands, par centaines. Chaque stand est une structure en bois portant un toit en tôle, en bâche ou en toile de sac de riz. Certains ont des murs en planches, d'autres non. Les vendeurs, désoeuvrés les trois quarts du temps, sont installés derrière les comptoirs ou quelquefois couchés sur leur étal parmi leur marchandise.

Je pose donc mon vélo chinois dans une rue avoisinante (sans antivol, car le vélo n'en dispose pas), et je m'engage dans une ruelle du marché. Je dois souvent marcher voûté parce que la hauteur des stands est calculée pour des Malgaches, plutôt petits dans l'ensemble.

Dans la partie du marché par où je commence, on vend des légumes. Il y a toujours des tomates, oignons, carottes, brêdes (sorte de goûteux épinard tropical), par tas énormes. Ils sont acheminés dans des paniers tressés empilés sur des chariots montés sur quatre roues de voiture et dirigés via un mécanisme de leviers. On trouve des bananes en abondance, mais les autres fruits, comme les ananas et les oranges, sont relativement luxueux et plus rares. Les mangues, abordables, commencent à arriver avec la fin de l'hiver.

Je passe ensuite dans l'énorme partie consacrée aux vêtements. Les stands sont isolés par des murs de pantalons et robes suspendus derière lesquels les badauds semblent jouer à cache-cache. La lumière qui filtre est vivement colorée par les tissus chattoyants. Des petits hauts-parleurs crachent des mélopées hachées et répétitives : prière musulmane ? Beaucoup de vendeurs (et leur marchandise) sont d'origine pakistanaise. Les sons sont atténués par les piles de vêtements et de chaussures. On trouve de tout, du slip à la veste en fausse fourrure, dans les marques les plus prestigieuses : D&G a du succès auprès des midinettes et Nike est présent en masse. Heureusement, les prix de ces imitations sont adaptés au contexte local. Les T-shirts à la gloire de Madagascar ne sont pas réservés aux touristes, ils se portent couramment.




Errer parmi les tissus m'a fait perdre tout à fait le sens de l'orientation. En m'imposant de marcher tout droit, j'émerge dans dans la partie où on vend le nécessaire pour le ménage : piles d'assiettes, brosses, bouteilles thermos en plastique, etc. Comme souvent, les magasins vendent tous la pratiquement les mêmes produits industriels. Ensuite, je passe des deventures d'ustensiles artisanaux : planches à pain en palissandre (bois dur dont l'exportation est interdite), casseroles forgées, paniers, plateaux en vannerie, petites râpes à légumes en fer plié, entonnoirs soudés à la main, etc. A côté on vend des épices, huile de coco, vanille, clous de girofle, miel en boutille, etc.

Ensuite, je passe dans la poissonnerie. Toamasina est en bord de mer, on y pêche toutes sortes d'espèces. Quand le poisson, et les crustacés (et la viande) sont soit frais du jour, ils sont vendus à l'extérieur du marché, en petites quantités. Ici, la chair est conservée salée, sèche ou fumée. Les grandes piles de poissons écartelés dans la pénombre et l'odeur à la fois marine et sèche saisissent l'imagination. Le coin est un bizarrement silencieux. C'est peut-être ici que l'ambiance de vieille ville portuaire est la plus prégnante.




J'émerge au bord du marché. Les stands sont remplis de cahiers, cartables, crayons, qui attestent que l'école reprend en début septembre. On vend de l'électronique bon marché (sur piles, l'électricité est un luxe) : montres, mini-radios, calculettes, etc.

En face du marché, des boutiques porposent par sacs de 50 kg des graines sèches : différents types de riz (Madagascar en consomme le plus au monde par habitant) et de farine (c'est là que je me fournis pour le pain), cacahouètes, haricots en tous genres, sucres, maïs. On pourrait craindre que les sacs ouverts attirent mouches ou mites, mais le rythme de consommation est tel que les oeufs des insectes sont cuits avant d'éclore...



J'aime ainsi flâner dans le bazar, acheter est un but secondaire. Je négocie rarement, ou pour le principe, car ce marché est trop peu touristique pour que les vendeurs aient souvent le réflexe de profiter du vazaha ignorant (parfois, les prix sont même affichés !). Quand il pleut, l'endroit devient une pataugeoire, et il faut marcher d'ilot en ilot par dessus les flaques de boue. Le Bazar Kely a mauvaise réputation : plusieurs personnes m'ont mis en garde contre les pickpokets. Ces inconforts ajoutent au charme de l'endroit, on est bien en Afrique.

Nostalgie

Passer deux mois dans une ville étrangère n'est pas vraiment un déménagement, mais plus tout à fait des vacances. Pour ma part, je n'ai jamais vécu aussi longtemps dans une ville sans y avoir mon domicile nominal. Avant de partir, je me suis remémoré mes voyages précédents. Toujours, certains aspects de ma vie normale me manquaient : la nourriture, la musique, la langue, un foyer. Je le supportais parce que c'était temporaire, comme une apnée.

Je savais que ce voyage serait plus long, j'avais donc préparé un lecteur MP3 avec une version numérisée de ma CD-thèque pour pouvoir de temps en temps m'échapper dans ma musique familière. Las, le support fut volé, ou perdu, lors de notre périple sur le canal des Pangalanes. Ca me manque, car je n'apprécie pas vraiment la musique populaire malgache, ni les fragments de musique européenne que j'entends de temps à autre au hasard des MP3 embarqués sur les portables des vazahas.

On peut dire qu'à Toamasina, j'ai un foyer. Au début, je logeais chez Célia, dans sa petite maisonnette. Puis nous avons déménagé vers notre nouvelle maison. Comme nous avons emménagé tous les trois au même moment, et que j'étais impliqué dans les préparatifs et l'agencement, je ne suis pas moins chez moi que mes colocataires. En rentrant de week-end, je me sens revenir dans un lieu familier.

Le français est langue officielle, mais ce n'est pas très important : les Malgaches le parlent rarement assez bien pour que la conversation soit plus subtile que si je parlais, disons, anglais ou espagnol. Par contre, la plupart des vazahas sont Français. Il y a donc de fréquentes occasions pour, entre vazahas, exercer les finesses de la langue. Mais ça reste un plaisir d'importation : Madagascar n'y contribue pas. Radio France International est diffusé sur la bande FM et nous l'écoutons régulièrement. C'est une espèce de France Inter qui traite plus extensivement de l'étranger, et de l'Afrique en particulier.

Un autre plaisir d'importation culturel est l'Alliance Française. C'est une association à Toamasina qui a une bibliothèque et organise des activités culurelles, des formations, etc. De la bibliothèque je fréquente la petite secion des bandes dessinées, cet art éminemment français.

Je me suis trouvé un goût pour les albums de Alix. Je trouve habituellement le style de narration de Jacques Martin engoncé et surranné, son dessin un peu raide. Ici, je tombe sous le charme de la perfection antique de l'architecture et des corps, rendus méticuleusement et en détail. Les héros et les personnages historiques sont nobles et francs, les sociétés civilisées et raffinées, les aventures pleines de grandeur. Elles sont solidement construites, comme des contes, avec les héros, les opposants, les opposants repentis (qui meurent le plus souvent pendant l'aventure), et une morale. Cette perfection très académique m'attire par son contraste avec l'environnement malgache, prosaïque, où rien ne fonctionne sans souci, où il est toujours question d'argent, où l'intendance est un cauchemar...

Du côté culinaire, j'ai aussi cédé aux plaisirs d'importation : en France mon alimentation est basée sur le pain et le fromage. Madagascar propose une honorable variété de fromages de vache, produits à Antsirabe, à pâte dure pour la plupart. Je ne suis donc pas contraint à consommer les fromages français du supermarché. En revanche, sauf à se fournir dans des boutiques luxueuses, l'offre en pain se réduit à d'ignobles baguettes industrielles, molles, ultra-légères, au prix fixe. Bizarrement, à Sainte Marie, le pain est bien meilleur. C'est donc au retour de notre excursion sur l'île que, dans un mouvement de révolte, nous avons acheté une machine à pain. Depuis, je cuis du pain compact et carré, complet, au sésame, au son, etc. Il se combine d'ailleurs à merveille avec du chocolat malgache.




Ainsi, j'accomode mon séjour en important mes habitudes françaises. Il se trouve que c'est possible à Madagascar, donc je me complais dans cette inclinaison. Je pourrais sans doute vivre dans ce pays. Pourtant, il ne se passe pas un jour où je ne pense au moment de reprendre un Airbus vers Paris, puis le TGV vers Grenoble...

jeudi 11 septembre 2008

Se faire servir

Le salaire minimum légal malgache est de 50000 Ar par mois, c'est-à-dire 20 euros environ. Les vazahas qui travaillent dans le pays ont des statuts divers, de volontaire à expatrié, et gagnent de 20 à 200 fois ce salaire minimum.

Les Malgaches dans leur très grande majorité ne sont pas envieux ou opportunistes, donc cette énorme différence de revenus n'empèche pas d'avoir un contact relativement apaisé avec les autochtones.

Cependant, elle encourage toutes sortes de métiers rares dans les pays riches. Toute maison plus chic qu'une case est louée en combinaison avec un gardien, qui l'entretient, brûle les ordures et éloigne les voleurs par sa présence. Il est quasiment impossible de louer une voiture (souvent un 4x4) sans chauffeur. Les vahazas si souvent des femmes de ménage que les machines à laver et les aspirateurs sont presque inexistants.

Il faut faire un effort conscient pour ne pas avoir de femme de ménage. Dès qu'on a un contact suivi avec la population locale, elles se proposent d'elles-mêmes. Préparer le dîner ou faire la vaisselle devant une femme de ménage potentielle est presque un affront : ne le ferait-elle pas aussi bien ? pourquoi refuser de lui donner un peu d'argent ? Beaucoup de Malgaches ont quotidiennement besoin d'argent, parce qu'ils prévoient très peu l'avenir et ont donc très peu d'épargne.

Au début, l'idée de se faire servir est bizarre, comme de se faire transporter en pousse-pousse. Moralement, nous assimilons cela à de l'exploitation et craignons pour notre autonomie. Mais bientôt, c'est de ne pas prendre de femme de ménage qui paraît égoïste : ça crée un emploi alors qu'acheter un aspirateur au supermarché ne bénéficierait en rien à l'économie locale.

La femme de ménage est souvent aussi une amie, soit parce qu'elle l'était avant, soit parce qu'une relation d'amitié apparaît facilement : c'est à la fois sa tendance naturelle (les Africains sont vite sentimentaux) et son intérêt, parce qu'elle s'attache ainsi ses employeurs. Elle parle relativement bien français tout en connaissant les usages et la vie quotidienne malgache. Elle sert donc d'intermédiaires entre les vazahas et les vendeurs du marché, voire les gardiens de la maison... Le risque est que, à l'instar des journalistes dans des régions en conflit qui n'interrogent que des chauffeurs de taxi, on ne connaisse de la population locale que sa femme de ménage...






Les vahazas ont tendance à payer généreusement les femmes de ménage parce qu'ils sont exceptionnellement riches et parce que leur sens moral le leur dicte. A l'opposé, la classe moyenne malgache, typiquement des commerçants karana (d'origine indienne ou pakistanaise), octroie des salaires serrés au plus près des prix du marché : ils sont dans le circuit économique local et ont des revenus proportionnés au niveau de vie malgache.

Célia a donc eu différentes femmes de ménage. Siloé était une amie qui a insisté pour faire le ménage quand elle était invitée à manger. Françoise était une cousine de Siloé qu'elle a recommandée. Lala nous a tout bonnement abordés dans la rue pour demander du travail.

Nous venons de déménager de la maisonnette de Célia vers un logement plus grand, en colocation avec Michelle. Inoccupée depuis trois ans, la plomberie et diverses autres composantes sont vétustes. Lala nous est d'une aide précieuse, non seulement pour rendre l'endroit habitable, mais aussi pour négocier les réparations avec le gardien (qui représente le propriétaire). Elle a la cinquantaine et connaît les goûts des vazahas. Elle a pris l'initiative de retirer la décoration et les bibelots kitsch des propriétaires....


mercredi 3 septembre 2008

Architecture

Une fois sorti de Toamasina, vers la campagne et les villages, l'habitat devient de plus en plus traditionnel.

La case malgache de base est en composantes naturelles. La structure est une série de poteaux en bois (des troncs d'arbre) verticaux plantés en terre, disposés en carré. Ces poteaux supportent un plancher surélevé. Les planches sont disjointes pour balayer le sable par les fissures. Les assemblages entre poteaux et chevrons sont de simples encoches avec des chevilles en bois ou quelquefois des clous.

Le toit est constitué d'une série de bâtons qui supportent de grandes feuilles de bananier ou d'arbre du voyageur, qui résistent aux vives averses tropicales. Le tout est relié solidement avec des fibres végétales. Les murs sont en bambou déroulé et tressé ou en demi-bambous bien jointés. Il n'y a pas nécessairement de fenêtre.



Ces cases ne nécessitent théoriquement aucun produit industriel. La main d'oeuvre ne coûte quasiment rien : le salaire quotidien pour un ouvrier est de 2500 Ar (1 euro). C'est heureux, car la construction dure très longtemps.

Selon les professionnels du bâtiment que nous avons interrogés, l'entretien de ces cases consiste à remplacer les poteaux quand ils pourrissent en terre et à rafraîchir de temps en temps les feuilles du toit. Lors des cyclones, les cases sont soufflées ou renversées. Dans ce dernier cas, il suffit souvent de les redresser et d'ajouter quelques barres pour qu'elles redeviennent habitables.

Ce format de case basique peut être améloré par étapes. D'abord, certains chevrons peuvent être taillés (à la hache) pour leur donner une section carrée, ce qui permet de faire des assemblages plus solides. On peut mettre du linoléum sur le plancher. On peut utiliser des planches plutôt que des demi-bambous. On peut ajouter une porte, voire des fenêtres avec des volets. On peut faire des fondations en béton, mettre un toit en tôle. Enfin, on peut monter des murs en briques. On perce alors des trous d'aération orientés vers le bas dans les murs.

Les bâtiments officiels (mairies, dispensaires, écoles,...) sont en dur. Par contre, seules les villas très luxueuses ont des vitres aux fenêtres : le climat est doux, et des volets sont plus utiles lors d'un cyclone.

Internet

Comme les autres îles et continents, le téléphone et Inernet arrive à Madagascar via des câbles sous-marins. Ensuite, il y a des noeuds de télécom dans les villes pour distribuer les données et les conversations téléphoniques.

La particularité de Madagascar au niveau des utilisateurs. Suivant la tendance globale tendant à minimiser les infrastructures, il y a peu de lignes de téléphone fixe, et donc de modems analogiques ou ADSL. Le marché est trop petit, et de toute façon, ces équipements sont détruits tous les 2-3 ans par les cyclones (du moins sur la côte).

Il y a donc un réseau de téléphone mobile GSM, avec trois opérateurs, qui couvrent des villes jusqu'qux gros bourgs. Ce réseau permet aussi d'accéder à Internet via des modems GSM, qui peuvent théoriquement fonctionner en 3G à Toamasina. Malheureusement, celui qu'avait acheté Célia ne fonctionnait pas chez elle.

Il y a aussi un réseau sans fil intermédiaire entre le GSM et le téléphone fixe. Le téléphone se présente sous forme d'un poste fixe, qu'on peut poser sur une table, avec un combiné à fil en spirale, plus une petite antenne. L'origine chinoise du produit est atestée par la marque « Huawei », par la mélodie synthétique sirupeuse qu'il émet au démarrage, et par le rétroéclairage rouge et vert fluo des touches et de l'écran.

On peut le relier avec un câble USB à un ordinateur. Il devient alors un modem analogique qui permet d'accéder à Internet. Il ne fonctionne correctement que sous Windows XP, alors que par malheur nos deux portables sont sous Windows Vista et Windows 2000 ou Linux.

J'écris donc ceci sous Linux, puis je le transfère sous Win 2000. Je me connecte pour le publier en faisant le minimum de manipulations possibles pour ne pas avoir un plantage (Blue Screen Of Death)... Mais c'est mieux que d'aller dans un cybercafé.

Je peux donc maintenant publier les entrées de mon blog en souffrance, les antidatant approximativement.

mercredi 20 août 2008

À Sainte Marie

Le Rozina part vers Sainte Marie à 6 h : le soleil se lève sur l'Océan Indien. Même calme, la mer est suffisamment forte pour que les vagues se creusent plus que la hauteur du bateau. Nous sommes fameusement secoués, le tangage nous envoie régulièrement des paquets d'eau à la figure. La plupart des autres passagers, habitués, dorment sur leur banquette sans se laisser perturber.

Sainte Marie est une île alongée du nord au sud, d'environ 60 km dans sa plus grande longueur. La capitale Ambodifotatra (dite « la ville ») est sur la côte Ouest, c'est là que débarquent les bateaux en provenance de Soanierana Ivongo. L'axe principal est une route partiellement goudronnée qui suit la côte. Il est bordé de villages et d'hôtels plus ou moins luxueux. À l'extrémité Sud, il y a l'aéroport international et un îlot séparé par un bras de mer : l'île aux Nattes.

À la descente du bateau, nous enfourchons les vélos en direction du Sud. Notre contact, Dorothée, est responsable d'une ONG avec qui travaille Célia. Les villages que nous croisons me paraissent moins délabrés et plus riches que ce que nous avons vu jusqu'à présent. Les prix sur le marché de « la ville » sont d'ailleurs plus élevés et le gens s'expriment volontiers en français. On sent l'influence de la manne touristique.

Dorothée et son compagnon, architecte, nous reçoivent royalement dans leur superbe maison avec vue sur la mer et les cocotiers (et douche chaude !). Nous convenons de passer quelques jours chez eux, car Célia peut travailler sur mon ordinateur portable.

Émilie, leur aide ménagère, nous préparera des petits plats pour le repas de midi. Moi, je fais de longues siestes dans le confortable lit à baldaquin habillé de lourds draps tissés dans une fibre typique de l'île.

Une après-midi, nous partons en hors-bord avec un guide pour voir des baleines à bosse. En cette saison, elles font étape aux alentours de l'île pour se reproduire. On les repère facilement de la surface par la fontaine en plumeau qu'elles suscitent en expirant. Les mères accompagnent leur baleineau. Les mâles se roulent dans l'eau en frappant la surface de leurs nageoires caudales. Elles sautent quelquefois hors de l'eau en faisant des mouvements acrobatiques.




Le spectacle de cette masse de plusieurs dizaines de tonnes s'extrayant de l'onde pour se retourner en l'air est extraordinaire. Il attire des nuées de touristes à cette saison et sert de thème aux statuettes, coussins et dessins artisanaux vendus sur toute l'île.

Un matin, nous prenons les vélos pour explorer le Nord de l'île, où sont cultivés des potagers que doit visiter Célia. Après une dizaine de kilomètres de bitume irréprochable, la route se mue en piste. Nous laissons les vélos dans un hôtel et nous partons vers la côte Est de l'île, plus sauvage. Nous traversons en pirogue un bras de mer peu profond, bordé de mangroves. Un petit chemin boueux nous mène à une immense plage de sable fin, complètement déserte. Nous nous baignons dans l'eau turquoise.



Nous reprenons les vélos pour compléter notre périple septentrionnal sur la piste défoncée. L'environnement devient peu à peu plus sauvage. Les difficultés d'accès découragent sans doute les touristes ou les hôteliers. Pourtant, quand la potence du guidon Célia se fissure sous ses efforts pour franchir les côtes, nous trouvons sans grande peine la pièce de remplacement, ainsi que les compétences nécessaires pour l'installer !



Nous parvenons à la pointe nord de l'île, marquée par un phare rouillé qui semble hors service. Célia retrouve Dorothée et un invité de marque : M. Sylla, le président de l'Assemblée Nationale malgache. L'homme nous gratifie de quelques remarques en français académique sur la nécessité des cabards (interminables discours tenus par les notables aux occasions importantes) dans l'action politique malgache. La suite en est l'illustration parfaite. L'ONG de Dorothée distribue trois sacs de matériel de pèche aux villageois pour compenser les pertes dues au cyclone Ivan. Les bénéficiaires sont rassemblés autour d'un gros arbre au milieu du hammeau. Les intervenants, M. Sylla, la présidente de l'ONG et des élus locaux prennent tour à tour la parole pour expliquer le sens de l'intervention et divers points de la réglementation sur la pèche. Les anciens du village répondent expansivement. Nous, les vazahas, assistons respectueux au rituel, en tâchant de discerner dans les discours les passages compréhensibles en français.



Dans l'après-midi, après un repas copieux à base de langoustes, nous reprenons la piste pour retourner d'une traite vers le Sud. Nous y arrivons éreintés, bien après la tombée de la nuit. Le lendemain, une petite excursions à l'île aux Nattes pour boucler les passages obligés du touriste visitant Sainte Marie.



Le retour à Toamasina est beaucoup plus rapide que l'aller : nous embarquons sur un bateau rapide, puis un taxi-brousse et arrivons à destination en fin de matinée.